Agrumes Bachès : Voyage au jardin des Hespérides

Quand les parfums, les couleurs, les saveurs se répondent….

Si, d’Homère à Ovide, la pomme d’or a bien été identifiée comme étant un agrume, la question de son goût n’en est pas résolue pour autant. Cette famille de fruits compte en effet plusieurs milliers de variations à partir d’une centaine d’espèces, d’une extraordinaire diversité de parfums, de saveurs, de formes et de couleurs…

Agrume : sa simple évocation esquisse toute une palette chromatique, dont les teintes s’étendent du vert à l’orangé, en passant par le jaune, le rose, le pourpre et le sanguin. Autant de nuances aromatiques qui oscillent sans cesse entre amertume, acidité, douceur et fadeur.

baches

Par les correspondances qu’il tisse entre l’œil, l’odorat, le goût et l’imaginaire, l’agrume sollicite tous les sens et interroge leurs relations. Il devient ainsi le support d’un parcours sensible, ouvrant sur un univers luxuriant, ensoleillé, où rien n’est jamais figé, où le citron peut devenir orange, le cœur d’une mandarine rouge sang, l’ovale d’un cédrat fabuleusement digité.

DES GOÛTS ET DES COULEURS

Le orange a-t-il un goût d’orange ? Ou est-ce le fruit qui porte le nom de la couleur ? Allers retours implicites, la teinte et le fruit échangent librement leurs caractéristiques : le orange est vif, acidulé, vitaminé, comme l’orange est colorée, gaie et ensoleillée.

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Mots et représentations du goût : Comment parler d’un pot-au-feu à des inuits ? (synthèse)

Ce texte propose une synthèse des différents travaux concernant le goût publiés ici.
Cf. Les rubriques : Comment parler du goût ? Comment montrer un goût ?

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Quelques réflexions sur les représentations du goût, ou :
Comment parler d’un pot-au-feu à des inuits ?

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Les étrangers, dit-on, s’étonnent souvent de la capacité des français à passer des heures à table, et surtout à passer des heures à table en parlant cuisine, en évoquant les repas précédant et à venir … C’est sans doute là que réside la spécificité du « repas gastronomique des français », récemment mis à l’honneur par l’UNESCO : attention, il s’agit bien ici de gastronomie, non de cuisine. En effet, à la différence du mot cuisine, le terme de gastronomie se place résolument du côté de la table pour désigner l’art de dire et de manger, quand la cuisine nous parle d’un art de faire et de préparer. La figure du « critique gastronomique » en est le porte-parole, le représentant institutionnel. Celui qui sait apprécier, reconnaître, et surtout rendre compte de son expérience.

Or, une des problématiques majeures de la critique gastronomique concerne les ressources du langage en matière de goûts. Dépasser le « mmm, c’est bon ! » pour tenter de rendre compte des saveurs relève du défi : comment peut-on rendre compte d’un goût ? Par exemple, d’un pot-au-feu à des inuits ?

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Comment fixer un goût ? – Le rôle du langage poétique

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Comment fixer un goût, une saveur fugace, lutter contre sa disparition physique pour tenter d’en saisir l’instant ?
-Le langage, en s’inscrivant dans une tradition poétique construite sur le mythe d’Orphée, et de la lutte contre la mort, se trouve ici investi d’un rôle qui en cristallise les enjeux.
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Dansez l’orange…

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Attendez… Cela a le goût … Déjà il est en fuite.

… Fort peu de musique, un piétinement, un bourdonnement — :

O vous, jeunes filles ardentes, ô vous, jeunes filles muettes,

dansez le goût du fruit éprouvé !

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Dansez l’orange. Qui peut oublier

comment, se fondant en elle-même, elle se défend,

contre sa propre douceur. Vous l’avez possédée.

A vous, ô délices ! elle s’est convertie.

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Dansez l’orange. Ce paysage plus chaud,

projetez-le hors de vous, qu’elle rayonne de maturité

dans les airs de son pays ! Embrasées, dévoilez

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un à un ses parfums ! Créez la parenté

avec l’écorce pure et rebelle,

avec le suc dont l’heureuse ruisselle !

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Rainer Maria Rilke, Sonnets à Orphée (1922), in Poésie,
traduction adaptée de celles de J-F Angelloz, Aubier, éd. Montaigne, coll. bilingue, 1943
et de Maurice Betz, éd. Emile-Paul frères, 1942.

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Photo : http://www.layoutsparks.com.

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A lire aussi, à propos du goût :

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  • Comment parler d’un goût ? En guise de réponse :

– un article consacré à cette question ,

– des textes de Jean de Léry, et d’Alexandre Dumas, et un autre sonnet de Rilke

– une émission dédiée à cette question sur RFI.

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  • Comment montrer un goût ? Série d’analyses de la photographie culinaire :

– étapes 1 : A propos de la relation entre l’oeil et le goût

– étape 2 : photogénie du goût : peut-on tous les montrer ?

– étape 3 : montrer un goût : le dispositif des démos de chefs / photographie culinaire

en préambule à un article consacré à cette question.

Comment parler d’un goût ? – Une réponse du langage poétique

Comment parler d’un goût? En prolongement de l’article consacré au récit de voyage de J. de Léry: une autre forme de réponse, qui passe ici par le travail du langage poétique (avec le retour, dès le premier vers, de l’ineffable banane de Léry !)

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Pomme ronde…

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Pomme pleine, poire et banane,

groseille… Tout cela déverse dans ta bouche

des paroles de vie, de mort…. Je pressens …

Lisez-les plutôt sur le visage d’un enfant

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lorsqu’il mord dans ces fruits. Oui, cela vient de loin.

Cela perd-il lentement son nom dans votre bouche ?

Là où n’étaient que des mots coulent des découvertes,

libérées avec surprise de la pulpe du fruit.

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Osez dire ce que vous nommez pomme.

Cette douceur, qui d’abord se condense

pour, tandis qu’on l’éprouve, dressée avec douceur,

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parvenir à la clarté, à l’éveil, à la transparence,

devenir une chose d’ici, qui signifie et le soleil et la terre — :

ô expérience, sensation, joie —, immense !

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Rainer Maria Rilke, Sonnets à Orphée (1922), in Poésie,
traduction adaptée de celles de J-F Angelloz, Aubier, éd. Montaigne, coll. bilingue, 1943
et de Maurice Betz, éd. Emile-Paul frères, 1942.

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