Plus croûte que mie ? A propos du « Pain » de Francis Ponge

En matière de pain, l’humanité est divisée en deux catégories : les plus « mie que croûte » et les plus « croûte que mie ». Il y a ceux qui tueraient pour un croûton, et ceux qui le dédaignent à la faveur d’une tranche de miche, plus moelleuse et généreuse en mie, comme son nom l’indique… Deux modalités du pain, tributaires l’une de l’autre, indissociables bien que différemment appréciables. Tout panophile qui se respecte est bien conscient de cette dialectique : le jeu des préférences est d’abord une affaire de dosage entre matière et surface. D’un côté, une acidité croustillante, légèrement teintée d’amertume. De l’autre, une élasticité tendre, plus explicitement sucrée. Sachant, bien entendu, que la préférence qu’on a pour l’une n’a de valeur qu’en présence de l’autre. Un pain qui ne serait que croûte tournerait aussitôt à la biscotte, une miche sans croûte virerait au pain de mie…

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Or, ce réseau de matières, de textures et de goûts témoigne ouvertement du processus de fabrication du pain, issu d’un simple mélange de farine, d’eau et de sel, fermenté et pétri à plusieurs reprises avant d’être passé au four. Les alvéoles de la mie nous parlent ainsi du travail de la pâte, levant, poussant, s’épanouissant silencieusement dans l’obscurité humide du fournil. Mystérieuse opération, productrice de goûts et de symboles, qui sera brutalement suspendue au moment de la cuisson. La chaleur du four suspend en effet d’un coup l’altération de la pâte. Implicitement, c’est une purification par le feu, qui vient soudain neutraliser la fermentation, et une partie des significations qu’elle véhicule. L’activité du levain est ainsi contenue, figée dans le four. Seule la mie en conserve l’empreinte, comme une trace fossilisée, enfouie sous la croûte, qui manifeste au contraire l’action du feu jusque dans sa couleur.

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Le Goût du Temps : intervention au Forum d’Avignon [vidéo]

En complément des articles déjà publiés sur ce sujet :
Pour une sonate en cuisine : introduction à l’esthétique du goût
Comme la musique, la cuisine est un art du Temps : brève synthèse sur la temporalité du goût

Voici un extrait de mon intervention au Forum d’Avignon (édition 2012), pour la session « Organiser le temps : mémoire et transmission dans un monde en réseau ».

 

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A propos : Laboratoire d’idées au service de la culture, le Forum d’Avignon organise chaque année des rencontres internationales qui sont l’occasion de débats entre artistes, dirigeants d’entreprise, écrivains, professeurs, réalisateurs, responsables politiques, philosophes, étudiants d’universités internationales, représentants de la création et des industries culturelles.

Autour de la table :
– Ezra Suleiman, professeur à Princeton
– Jean-François Colosimo, Président du Centre National du Livre, France.
– Kohei Nishiyama, Président fondateur de elephant design co., ltd., Japon
– Caroline Champion, exploratrice de saveurs, France

L’intégralité de la session est disponible ici.

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Le goût de la Main de Bouddha (Voyage au jardin des Hespérides, suite)

A lire en préambule : Agrumes Bachès : Voyage au jardin des Hespérides.

 


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© Caroline Champion

MAIN DE BOUDDHA, Citrus Digitata

L’ESSENCE DU FRUIT

Fruit étrange, à l’improbable forme digitée, la Main de Bouddha est une variété de cédrat originaire d’Asie. Son zeste, d’un jaune éclatant, dissimule une chair blanche, le ziste, dont la saveur est dépourvue d’amertume, à la différence de tous les autres agrumes. Autre particularité de ce cédrat, l’absence de pulpe, de jus et de pépins…

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Agrumes Bachès : Voyage au jardin des Hespérides

Quand les parfums, les couleurs, les saveurs se répondent….

Si, d’Homère à Ovide, la pomme d’or a bien été identifiée comme étant un agrume, la question de son goût n’en est pas résolue pour autant. Cette famille de fruits compte en effet plusieurs milliers de variations à partir d’une centaine d’espèces, d’une extraordinaire diversité de parfums, de saveurs, de formes et de couleurs…

Agrume : sa simple évocation esquisse toute une palette chromatique, dont les teintes s’étendent du vert à l’orangé, en passant par le jaune, le rose, le pourpre et le sanguin. Autant de nuances aromatiques qui oscillent sans cesse entre amertume, acidité, douceur et fadeur.

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Par les correspondances qu’il tisse entre l’œil, l’odorat, le goût et l’imaginaire, l’agrume sollicite tous les sens et interroge leurs relations. Il devient ainsi le support d’un parcours sensible, ouvrant sur un univers luxuriant, ensoleillé, où rien n’est jamais figé, où le citron peut devenir orange, le cœur d’une mandarine rouge sang, l’ovale d’un cédrat fabuleusement digité.

DES GOÛTS ET DES COULEURS

Le orange a-t-il un goût d’orange ? Ou est-ce le fruit qui porte le nom de la couleur ? Allers retours implicites, la teinte et le fruit échangent librement leurs caractéristiques : le orange est vif, acidulé, vitaminé, comme l’orange est colorée, gaie et ensoleillée.

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