Comment montrer un goût (2) ? Peut-on tous les montrer ?

Photogénie du goût, étape 2 : en préambule à un article consacré à la représentation du goût dans la photographie culinaire, quelques pistes de réflexion.

(Lire l’étape 1)

On peut tenter de développer la question « comment montrer un goût ? peut-on tous les montrer ? » à partir de l’exemple du plat mijoté.

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Comment peut-on en effet représenter le goût d’un plat mijoté sur une photographie, c.à.d sur un carré de papier glacé, désodorisé ?

– L’odeur d’un plat ne fonctionne-t-elle pas comme un véritable pont entre l’œil et le goût ?

Si la vision d’un plat constitue un véritable préliminaire (au sens fort) à sa dégustation, elle est relayée, incarnée, ancrée dans la matérialité du corps par le biais de l’odorat, qui confère toute sa densité charnelle à la vision du plat, et qui nous permet d’anticiper physiquement sur ses saveurs.

L’un des enjeux de la photographie culinaire serait donc de faire en sorte que l’imaginaire (le fantasme) prenne le relais entre l’œil et le goût, sans passer par les renforts d’un support olfactif.

Ex. Sur cette photo, tout passe par la projection imaginaire qu’appelle la vision d’une cocotte en cuivre, contentant idéal du plat longuement mijoté …

Choisir de ne pas montrer devient alors une façon indirecte de montrer.

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Comment montrer un goût ? La relation entre l’oeil et le goût : une proposition d’analyse de la photographie culinaire (1)

Photogénie du goût : en préambule à l’article consacré à la représentation du goût dans la photographie culinaire, quelques pistes de réflexions (matière à penser).

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On peut partir de la photographie culinaire pour interroger la puissance des relations entre la vue et le goût – avec pour enjeux, entre autres, les relations entre arts (plastiques) et cuisine, telles qu’elles s’établissent dans l’esthétisation de la cuisine par le travail visuel de l’assiette …

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Pitaya, fruit du dragon : le fruit photogénique par excellence – si beau, sans goût

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A l’opposé, la truffe : l’efficacité olfactive et gustative, sans photogénie

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Il faudrait donc interroger la photographie culinaire à partir de la question suivante : comment peut-on montrer un goût ? – peut-on tous les montrer ?

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Sur ce sujet, voir aussi les articles consacrés au Festival International de la photographie culinaire, édition 2009 ici et

Festival International de la Photographie Culinaire : mais quel goût ont les images ?

Les différences majeures entre les démarches des travaux exposés au Festival International de la Photographie Culinaire sont ici l’occasion de s’interroger sur les enjeux inhérents à la photographie culinaire.

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Festival International de la Photographie Culinaire : mais quel goût ont les images ?

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…..« Photographie culinaire ».

…..La chose ne va pas de soi.

…..N’y a-t-il pas plutôt une antinomie fondamentale entre la photographie, art visuel, et la cuisine, qui ressortit davantage du plaisir gustatif ?

…..Autrement dit, comment peut-on photographier un goût ?

…..En réalité, derrière toute photographie culinaire, il y a un choix, une prise de position, et une réponse à cette question fondamentale : Quel est le lien entre l’oeil et le goût ?

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L’imagination.

…..Certaines photos choisissent en effet de travailler sur l’imaginaire gustatif du spectateur, invité à projeter des saveurs sur ce qu’il voit… La sphère du fantasme vient ainsi s’intercaler entre l’oeil et le goût. On est alors dans le domaine de la photographie salivante, alléchante.

…..Pourtant un simple papier glacé, fade et plat.

…..La photographie se fait ici artistique par la mise en scène de son sujet, un plat ou un produit artistique en lui-même. Elle en porte la trace, elle en a fixé la beauté fugitive ; elle en présentifie la saveur…

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Aucun lien.

….. La photographie culinaire tente parfois au contraire de se couper de la dimension gustative, pour aller jouer dans la cour de la photographie artistique établie.

…..Elle devient alors pur regard, travaillant la matière alimentaire comme un objet plastique, une texture, des couleurs coupés de leur goût.

….. Ce type de photographie flatte l’oeil du spectateur sans faire appel à son imagination gustative. Photographie culinaire ? Disons plutôt photographie à thématique alimentaire.

…..Au risque de passer à côté de sa spécificité même.

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Les enjeux de cette question, pourtant simple à première vue, concernent donc la nature même de la dimension artistique de la photographie culinaire :
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…..Repose-t-elle uniquement sur l’art photographique ?

…..A-t-elle au contraire un statut à part, du fait de la nature de son sujet ?
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…..Chaque photographie est une réponse.
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Et vous, vous en pensez quoi ?
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Voir aussi l’article consacré aux réponses proposées par les travaux exposés au Festival :

Festival International de la Photographie Culinaire : comment éviter le Marabout ?

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Jeudi 6 novembre, ouverture du Festival International de la Photographie Culinaire.

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Outre les galeries et restaurants participant sous différentes formes au festival, une compétition officielle entre 22 photographes, sur le thème « poissons, coquillages et crustacés ».

Deux espaces officiels d’exposition : Les passages couverts de Bercy Village, et … l’Espace Mobalpa, (15 boulevard Diderot, 75012) !

Mobalpa

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L’Espace Mobalpa ou : Quand le sponsor tient plus de place que son objet…

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L’Espace Mobalpa est un espace d’exposition pour le moins problématique.

Il a cependant le mérite de mettre les deux pieds dans le plat, et d’interpeller le spectateur sur le statut de la photographie culinaire.

En effet, les photographies, exposées au milieu des cuisines Mobalpa, se trouvent reléguées au rang d’illustrations décoratives, pour ménagère de moins de 50 ans … !

Installées dans un espace dédié à la consommation (alimentaire / économique) la dimension artistique de ces photographies est donc loin d’être évidente.

Et pourtant, malgré un format relativement petit, un espace visuellement envahissant, un contexte inapproprié, certaines images s’imposent comme des photographies de type artistique.

Quelles stratégies mettent-elles en place pour éviter le côté Marabout ou Elle à Table ? Comment assument-elles la spécificité de leur objet ?


FIPC – Différentes façon d’aborder la photographie culinaire :

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Parmi les photographies présentées au festival, on peut repérer différentes tendances, qui sont autant de façon d’aborder la photographie culinaire, et de travailler à établir sa dimension artistique.

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Tenter de photographier un goût : des produits, des plats, toujours en macro :

Selon la démarche du photographe, elles se veulent plus ou moins appétissantes, et plus ou moins ludiques. Elles proposent une approche du goût par l’image.

Dans certains cas, on reste quand même assez proche de l’illustration esthétisante de type fiche-recette Elle.

Plusieurs photographes jouent plutôt la carte du ludique, et travaillent sur la ligne nature/culture, en présentant par exemple un poisson vivant/poisson pané, etc… (Pierre-François Couderec, Christophe Doucet ).

D’autres photographies, comme celles de Patrick Rougereau, vont ouvertement chercher à détourner le côté Marabout, en proposant une réinterprétation humoristique des photos de recettes.

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Patrick Rougereau

Patrick Rougereau.

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Dans ce cas, c’est la nature même du sujet de la photographie qui lui dicte sa forme. Le domaine culinaire est revendiqué et mis à l’honneur.

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Travailler une matière visuelle : des photographies « désincarnées »

Toujours en macro, certaines photographies mettent au contraire l’accent sur des formes et des textures, recherchant avant tout un effet visuel.

L’alimentation, le plat ou le produit brut acquiert alors une dimension plus abstraite, quasi désincarnée.

Il n’est qu’un support plastique, un matériau détaché de sa saveur à la faveur d’un plaisir purement oculaire.

On pense par exemple au travail de Mathilde de L’Ecotais, ou à celui de Richard Haughton

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richard haughton

Richard Haughton, Sayori.

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La revendication du statut artistique de la photographie culinaire passe ici par une forme de négation de la spécificité de son objet. L’aliment est alors détourné, désincarné mais aussi magnifié, pour servir la cause d’un art visuel.

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Une troisième voie ? Les photographies contextualisées, de type récit de voyage :

Elles saisissent des humains en cours de préparation d’un repas, sur les marchés, etc.

Le contexte est ici primordial, et aisément identifiable. Les plans sont plus larges, la macro est laissée de côté.

Mangeur ou préparateur, l’humain retrouve alors toute sa place sur la photographie

Ce type de photographie se veut la trace d’un moment précis, en un lieu précis.

Au sein de l’exposition officielle du festival, on citera les travaux de Kim Badawi, d’Eric Morin, ou de Florent Dupuy.

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Patrick Rougereau

Kim Badawi.

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Ce type de photographie propose une vision plus humaniste de la photographie, en ramenant l’aliment à sa dimension culturelle.

Au risque parfois de sembler moins immédiatement artistique.

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Une catégorie mixte : les photographies intellectuelles :

Celles-ci sont avant tout une tentative pour se démarquer, qui passe souvent par une démonstration de pseudo originalité.

Leur sens est alors plus ou moins obscur …

… Passons notre chemin …

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Pour en savoir plus : Le site du Festival International de la Photographie Culinaire.

Voir aussi l’article plus théorique consacré à la question du statut artistique de la photographie culinaire : Festival International de la Photographie Culinaire : mais quel goût ont les images ?

Et l’article consacré à l’exposition de la Milk Factory à l’Atelier des Francs-Bourgeois : Milk Factory, une nouvelle galerie pour le printemps 2010.