A table pour célébrer la Journée Mondiale du Bonheur ?

« Tout homme veut être heureux ; mais pour parvenir à l’être, il faudrait commencer par savoir ce que c’est que le bonheur. » (Rousseau, Emile ou De l’Education)

 Dejeuner-canotiers

Dans un contexte international marqué par une série de crises, tensions et catastrophes, la Journée Mondiale du Bonheur nous offre l’occasion de réfléchir sur cette notion universelle bien qu’apparemment subjective

Pour tenter d’y voir plus clair, sans doute faut-il commencer par distinguer bonheur et plaisir. Car s’il n’y a pas de bonheur sans plaisir, combien de plaisirs pouvons-nous ressentir sans le moindre bonheur ! Quand l’un semble impliquer d’emblée une intensité qui va de pair avec son irrémédiable fugacité, l’autre suppose au contraire une certaine durée, une épaisseur temporelle, qui lui confère toute sa saveur. Si je peux chaque jour éprouver du plaisir à écouter un morceau de musique, celui-ci n’en sera pas moins limité à la durée de mon expérience. De la même manière, un repas, une pâtisserie ou une simple tartine de fromage, peuvent être source de plaisir, y compris solitaire, par leurs qualités gustatives et leur adéquation avec mon envie du moment. Satisfaction éphémère, et vouée à l’oubli… à moins d’être partagée. Avez-vous remarqué qu’une part de gâteau n’a jamais le même goût que sa version individuelle ? Cette différence est encore plus marquée dans le domaine de la boulangerie où, pour des raisons qui dépassent la seule différence de cuisson, les pains individuels se révèlent incapables de développer la palette aromatique d’une généreuse miche de pain.

Par une mystérieuse opération, qui s’apparente à celle de la multiplication des pains, le plaisir change de nature dès qu’il s’inscrit dans un rapport aux autres. « Il y a des biens qui augmentent dans le partage » (Spinoza, L’Ethique). Savourée avec une salle entière, la musique change de ton comme le repas change de goût. L’expérience se dilate à la faveur d’une émotion qu’on ne saurait éprouver seul. Précisément parce qu’à la différence du plaisir, il y a dans le bonheur un rapport au monde que le rapport à la chose ne saurait occulter. De ce point de vue, le bonheur se distingue autant de la béatitude, que le sage est capable d’atteindre jusque dans l’isolement d’une prison. Terrestre et incarné, le bonheur nous offre une médiation entre l’évanescence du plaisir libertin et l’immuable sérénité de l’ermite.

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De l’art de tremper sa soupe

Quoi de plus réconfortant qu’un bol de soupe fumante en cette période hivernale ? Qu’elle soit de nouilles, de poisson ou de légumes, la soupe concentre tout le charme du mijoté. Elle nous parle d’un temps long, celui de sa préparation, dont témoigne la disparition presque totale de ses ingrédients initiaux, à la faveur d’un tout fumant, d’un tout brûlant, d’un tout savoureux… Elle s’inscrit également dans un temps plus vaste encore : celui de la mémoire, et d’une histoire à la fois individuelle et collective.

Soupe

Appel à souvenir, la soupe évoque presque immanquablement les grimaces de l’enfance, le « mange ta soupe, ça fait grandir » venant encourager l’absorption de ce magma épais, d’autant plus suspect que sa teinte brunâtre, verdâtre ou orangée fera nécessairement obstacle aux tentatives d’identification. Dès lors, on aura soin de lui adjoindre une cuillerée de crème fraîche ou un nuage de lait, d’une douceur toute maternelle, avant d’y jeter une poignée de croûtons, véritables bouées de sauvetage ajoutant à cette soupe le croquant qui lui faisait défaut… à condition de les repêcher rapidement ! Au risque, sinon, de les voir se dilater jusqu’à dissolution, tripler de volume pour finir en chapelet tiède et spongieux.

Pour réussir à avaler sa soupe, l’humanité a également développé un art de la tartine, version augmentée du croûton, où le trempage remplace le repêchage. Dans cette opération, le choix des armes est décisif, sous peine de voir s’effondrer l’édifice. « Le bon pain fait les bonnes soupes », dit-on. Avec son large soubassement de croûte, la baguette est tout à fait indiquée, notamment pour les débutants. Le pain de campagne, détaillé en tranches épaisses, possède quant à lui une capacité d’absorption supérieure. Hélas, sa mie double face le rend aussi plus vulnérable au moment du grand plongeon dans l’humide. D’où l’importance de l’étape grille-pain, indispensable pour conférer à ce type de tartine la résistance règlementaire, prolongeant l’étendue de sa croûte sans pour autant la rendre imperméable.

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Éloge du Pain

Extrait de mon Éloge du Pourri (à paraître un jour), ce texte a été publié dans Gastronomie Magazine, en guise de préambule à la soirée « Voyage dans l’imaginaire des céréales », qui se tiendra le 4 juin 2013 au Grand Auditorium de la BNF, à partir de 18h30.

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Un plaisir universel

Aliment familier, d’une simplicité désarmante, le pain est un mélange de farine, d’eau et de sel, fermenté et pétri à plusieurs reprises avant d’être passé au four. Qu’il prenne la forme du khoubz arabe, du vollkornbrot allemand, ou du damper australien, il est universel dans son principe, par-delà la dimension culturelle dont témoignent ses multiples recettes, d’une diversité infinie. La vaste palette de ses saveurs sucrées, où le moelleux se mêle au croustillant, accompagne tous les âges de la vie, depuis l’enfance où il succède au lait, dont il partage symboliquement la blancheur. Sucré, rassurant, il possède pour chacun une dimension profondément affective. Aliment nourricier par excellence, on le retrouve sur toutes les tables, à tous les repas. Avec lui, la nécessité devient savoureuse. Il symbolise la richesse du pauvre ; mais les populations les plus aisées, rassasiées, ne l’ont pas délaissé pour autant.

En France, dans sa version baguette, il est l’allié indispensable des tartines, celles du petit déjeuner comme celles du goûter, la clef de voûte des sandwichs et autres « casse-croûtes ». Version « campagne », il est le support irremplaçable des fromages et pâtés, (autant de produits qui déploient pour l’homme moderne un certain imaginaire du terroir). Quand sa mie est généreuse, il constitue l’outil idéal pour recueillir les sucs oubliés au fond de la poêle, pour savourer l’âme d’une sauce au fond de l’assiette et absorber les jus, les bouillons, les parfums et les goûts. Quand à la soupe, il en est l’essence même, puisque le terme a d’abord désigné le pain lui-même, sur lequel on verse du bouillon [1], avant de se déplacer pour qualifier ce liquide végétal qu’on accompagne volontiers de quelques tranches de pain … Or, précisément, accompagner, n’est-ce pas justement « manger du pain avec » ?

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Food design : « Demonio Azucarado », une performance-conférence briochée

L’exploratrice de saveurs dresse une nouvelle table … à Barcelone.

OFF MENU vous donne RDV aujourd’hui à 20h à la Galeria Alegria pour une performance-conférence-recette de Caroline Champion …

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