Retour sur la notion d’artiste : L’art et la cuisine comme pratiques collectives – A propos de l’exposition Raphaël au Louvre

Qu’est-ce qu’un artiste ? Souvent utilisé comme synonyme de créateur, voire de génie, le terme fait aujourd’hui figure de superlatif absolu, employé pour désigner une personnalité singulière, dotée d’une sensibilité exceptionnelle, exprimant sa vision du monde à travers des œuvres originales. L’artiste est alors généralement associé aux notions de style et de signature. Or, c’est cette mythologie contemporaine, tributaire d’une vision romantique de l’art que l’exposition « Raphaël – Les dernières années » au Louvre nous invite à reconsidérer.

En mettant en lumière le travail de l’atelier, cette exposition pose en effet des questions stimulantes pour réfléchir sur la notion d’artiste, à travers le cas du peintre. Elle peut être mise en perspective avec d’autres champs comme la musique, le cinéma, l’architecture, et, pourquoi pas, la cuisine, pour nous permettre d’approfondir l’image que nous avons aujourd’hui de l’artiste.


Raphaël, Autoportrait avec un ami (Giulio Romano ?), détail, 1519-1520.

L’artiste et son atelier

Venu a priori pour admirer le travail de Raphaël, le spectateur circule, ébloui, entre les chefs d’œuvre grands formats réunis dès la première salle : Saint Michel, Saint Georges, la Belle Jardinière ou encore la Madone aux poissons, autant de « masterpieces » qui méritent à eux seuls une visite de l’exposition. Mais voilà que face à la Sainte Cécile, en se penchant pour décrypter les minuscules étiquettes qui accompagnent chaque tableau, il découvre qu’il s’agit d’ « un des rares tableaux d’autel de la période tardive de Raphaël a avoir été peint en très grande partie par le maître lui-même » … ! Soudain plus attentif à lire les sous-titrages de l’exposition, il prend alors conscience que la plupart des tableaux exposés ne sont pas l’œuvre exclusive de Raphaël. Ou plutôt que la signature à laquelle nous attachons tant d’importance dissimule un travail essentiellement collectif, à l’opposé de notre vision de l’auteur, de l’artiste, du génie solitaire. En quoi une œuvre peut-elle donc être de Raphaël si ce n’est pas lui qui l’a peinte ? Voilà la question que le spectateur du XXIe siècle ne peut manquer de se poser.

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Nature / Culture, Art / Esthétique : A propos de l’exposition Beauté animale au Grand Palais

Il y a quelques temps, le Grand Palais se faisait le théâtre du célèbre jumping Hermès. Canassons en tous genres bondissaient sous la verrière. Le lendemain, une exposition ouvrait ses portes pour « rendre hommage à la beauté animale » … [1] Les chevaux de Géricault y côtoient les caniches de Jeff Koons, autant que les lions de Delacroix, à la faveur d’un discours qu’on ne manquera pas de mettre en perspective avec certains débats actuels ( foie gras, bébés phoques, hallal …).

Retour sur les enjeux et postulats de l’exposition.

(En passant, on ne manquera pas d’être sensible à l’humour du choix iconographique de cette double affiche, pour une exposition qui semble totalement oublier que les lions mangent aussi les singes …)

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1/ Quand le musée se fait zoo, et l’œuvre d’art documentaire

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Du goût comme écart et différenciation : A propos de l’exposition Matisse, Paires et Séries à Beaubourg

Notes et hors pistes, à propos de l’exposition Matisse, Paires et Séries, actuellement au centre Georges Pompidou.

Du goût comme écart et différenciation

Au sein de chaque culture, pour chaque individu, le goût se construit et s’affine avant tout par comparaison …

Le goût pris au sens culinaire du terme, d’abord, puisque les qualités d’un met, qu’il soit vin, chocolat ou simple morceau de pain, s’imposent et s’apprécient essentiellement par différenciation.

Ainsi, les nuances propres à chaque met dégusté prennent corps par l’écart ou l’adéquation que ce met entretient avec des expériences précédentes, souvenirs cumulées pour servir de mètre-étalon ; ou avec d’autres mets de catégorie identique, réunis  pour une dégustation comparative.

Exemple : Le goût spécifique de tel café sera d’autant plus manifeste que celui-ci sera testé à côté d’un autre. De cette mise en perspective émerge  l’identité propre à chacun, en termes d’amertume, boisé, onctuosité, etc.

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Le goût pris au sens esthétique du terme, ensuite, car  l’appréciation d’un tableau, d’une sonate ou d’un sonnet présuppose une  certaine fréquentation préalable du genre, une formation culturelle du regard ou de l’ouïe propre à affiner notre goût.

Ceci afin de dépasser l’émotion immédiate suscitée par l’œuvre, pour mieux en pénétrer  le sens et les spécificités, mieux en apprécier les choix esthétiques et la composition, etc.

Exemple : Si les Nymphéas de Monet à l’Orangerie ne manquent jamais de nous frapper par leur beauté, la confrontation des différents panneaux vient renforcer le plaisir de leur contemplation. Mettant en relief un certain nombre d’éléments, jeux de lumières et de couleurs, le réseau de significations tissé par la comparaison des différents Nymphéas confère à chacun une dimension supplémentaire.

C’est ce principe d’éducation du regard, de structuration du goût par comparaison et différenciation, que donne à vivre l’exposition Matisse, Paires et séries, au centre Georges Pompidou …

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Matisse, Paires et Séries

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1/ Paires de toiles

Le visiteur y découvre en effet une série de tableaux redoublés, dédoublés, où la duplication devient principe de création pour l’artiste, comme la comparaison se fait principe d’appréciation pour le spectateur.

Ainsi de cette Nature morte aux oranges, exposée à côté d’une Nature morte, pommes et oranges (hiver 1898-99)

Les deux tableaux sont exactement contemporains, de formats identiques et de compositions fortement similaires … Leur mise en perspective fait pourtant avant tout surgir les différences profondes qui les séparent. Couleurs et lumières sont en effet traitées de façon radicalement distinctes : d’un côté, un travail centré sur les ombres, lignes et reliefs, de l’autre, des aplats de couleurs qui se détachent les unes des autres avec une netteté lumineuse. Au point que les pommes en deviennent oranges, couleur et fruit à la fois. Lire la suite

Food design : « Demonio Azucarado », une performance-conférence briochée

L’exploratrice de saveurs dresse une nouvelle table … à Barcelone.

OFF MENU vous donne RDV aujourd’hui à 20h à la Galeria Alegria pour une performance-conférence-recette de Caroline Champion …

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