Nature / Culture, Art / Esthétique : A propos de l’exposition Beauté animale au Grand Palais

Il y a quelques temps, le Grand Palais se faisait le théâtre du célèbre jumping Hermès. Canassons en tous genres bondissaient sous la verrière. Le lendemain, une exposition ouvrait ses portes pour « rendre hommage à la beauté animale » … [1] Les chevaux de Géricault y côtoient les caniches de Jeff Koons, autant que les lions de Delacroix, à la faveur d’un discours qu’on ne manquera pas de mettre en perspective avec certains débats actuels ( foie gras, bébés phoques, hallal …).

Retour sur les enjeux et postulats de l’exposition.

(En passant, on ne manquera pas d’être sensible à l’humour du choix iconographique de cette double affiche, pour une exposition qui semble totalement oublier que les lions mangent aussi les singes …)

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1/ Quand le musée se fait zoo, et l’œuvre d’art documentaire

Un premier trait majeur de l’exposition concerne ses choix scénographiques et thématiques préalables. En effet, en décidant de présenter exclusivement des œuvres réalistes (exit le bestiaire fantastique du Moyen-Age, qui aurait pourtant apporté un peu de fantaisie à l’ensemble), et exclusivement dédiées aux animaux (point d’humain sur ces tableaux), l’exposition se transforme vite en parcours zoologique, regroupant les animaux par genre : chiens, chats, lapins, chevaux, animaux exotiques (lions, girafes, rhinocéros), etc.

Si tout ceci est très didactique, on ne manquera pas de regretter l’absence d’interrogation sur la qualité esthétique des œuvres, les techniques picturales, le contexte de leur production, etc.

De fait, la singularité de chaque tableau est entièrement gommée par la valorisation exclusive du sujet représenté. Réduite à cette fonction purement documentaire, l’œuvre d’art s’efface au profit de son sujet. Et l’exposition devient manuel d’histoire naturelle, ménagerie ou zoo. – De ce point de vue, autant aller faire un tour au Muséum d’Histoire Naturelle, au cirque, ou au zoo, c’est plus rigolo.

D’autant que si elle est apparemment naïve et platement descriptive, cette exposition n’en possède pas moins des implications idéologiques, politiques et philosophiques plus ou moins explicites sur lesquelles il convient de revenir.

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2/ Quand la beauté est de l’art est rabattue sur celle de la nature

Que penser en effet l’arrière-plan philosophique d’une exposition, qui « réunit 120 chefs d’œuvres de l’art occidental, de la Renaissance à nos jours, avec un parti pris radical et inédit : ne montrer que les œuvres où l’animal est représenté seul et pour lui-même, hors de toute présence humaine » [2] ? … C’est-à-dire qui choisit de gommer la relation entre nature et culture, la frontière entre homme et animal, pour mieux valoriser « la beauté de la nature » … à travers des œuvres qui comptent pourtant parmi les sommets de ce que la culture humaine a produit !

Particulièrement dans l’air du temps, cette idéologie de la nature brandie contre l’homme … Thématique qui confond nature et environnement, et qui semble ignorer que cette nature est précisément le produit du travail de l’homme : arbres et forêts où nous aimons nous promener, champs et campagnes dont nous admirons le paysage, animaux que nous élevons, tous portent l’empreinte de la culture, de la main de l’homme.

Objets de représentation artistique, comme ici, ils deviennent culture au carré. A ce niveau, la tentative d’évacuer l’humain de l’exposition (« les seuls humains que l’on voit sont les spectateurs », peut-on entendre ici ou là) est vaine et proprement grotesque (hélas, pas au sens étymologique du terme, les peintures de Lascaux ne faisant pas partie des œuvres exposées …) : l’œuvre ne nous parle que de culture ; artistique, éminemment humaine, sa beauté est mise en forme symbolique des valeurs portées par la société toute entière … C’est précisément la raison pour laquelle elle nous touche, par delà les catégories du « mignon », de « l’étrange », ou du « joli », que suscite la contemplation d’un animal au zoo.

En outre, si la nature n’a pas d’histoire, la culture en a une. Voilà pourquoi un peu de perspective historique n’aurait pas fait de mal à cette exposition.

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[Bref exemple : art / esthétique, nature / culture]

Cette mise en perspective, le spectateur peut la faire de son côté, créant son propre parcours en laissant de côté le propos de l’exposition pour circuler à sa guise entre des œuvres qui donnent à voir de façon frappante l’évolution de la symbolique culturelle, de la Renaissance à nos jours…

En effet, par-delà l’analyse de la symbolique animale revendiquée par l’exposition, totalement embryonnaire (réduites à quelques clichés privés de sens et de contexte), la confrontation de certaines œuvres parle d’elle-même.

Ainsi, dans une salle, ces Deux chiens de chasse attachés à une souche, peints par Bassano en 1548 …

… ailleurs, ce Caniche de Jeff Koons, en 1991.

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L’imaginaire déployé par les chiens de Bassano est fortement distinct de celui mis en œuvre par le travail de Koons. Fidélité, courage, agilité, vigilance, sont les quatre qualités symboliques généralement attribuées au chien dans l’histoire de l’art. Pourtant, dans les deux cas, le chien se fait avant tout l’expression d’une culture du pouvoir. D’un côté, une société aristocratique, seule à être autorisée à pratiquer la chasse, comme un prolongement de ses valeurs guerrières. De l’autre, une bourgeoisie désœuvrée, jouant à la poupée avec les bouclettes d’un chien toiletté, brossé, choyé en permanence.

L’exposition a beau éluder cette question, c’est bien la valeur symbolique de toute une société qui est à l’œuvre dans chacun de ces tableaux. C’est elle qui leur donne cette force, cette puissance de déploiement imaginaire.

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3/ Quand le discours d’une exposition devient discours moral

Enfin, loin d’en rester à ces confusions, platitudes et idéologie silencieuse, l’exposition se fait progressivement de plus en plus morale. Bien pensante, elle propose ainsi une salle dédiées aux « préjugés esthétiques et moraux »… concernant les animaux !

Elle dénonce alors « les classifications arbitraires » de Buffon entre « animaux nobles » et « animaux ignobles » pour mieux célébrer la tolérance et la grandeur d’âme de l’art contemporain : « Aujourd’hui, l’art bouleverse ces valeurs et les artistes s’attachent à des animaux longtemps dénigrés. C’est le cas de La chauve-souris de César ou de l’Araignée de Louise Bourgeois » [3].

– On ne manquera pas de s’étonner de cette relecture de l’œuvre de Louise Bourgeois qui, loin d’être une célébration de la « beauté animale », n’a cessé d’utiliser l’araignée comme métaphore terrifiante et traumatique de la mère !

Enfin, au terme de l’exposition, la morale de cette histoire se fait plus explicite …

« Beaucoup de créateurs s’interrogent aujourd’hui sur le rapport homme/animal et s’alarment de la menace qui pèse sur la biodiversité. Après le panda de Chine puis le bébé phoque, l’ours polaire est devenu le symbole de cette menace. A lui seul, il alerte l’homme sur l’avenir de la planète. Une scupture aussi magnifique que L’Ours blanc de Pompon finira-t-elle par avoir avant tout une valeur de témoignage, celui d’une espèce disparue ? La beauté animale ne sera-t-elle bientôt plus qu’un souvenir ? [4]

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Conclusion : Goya, Degas, Jeff Koons et les bébés phoques, même combat ?

Tel était donc le propos moralisateur de l’exposition, plaquant sans vergogne les préoccupations contemporaines de Brigitte Bardot et autres SPA (créée en 1845, comme ne manque pas de le rappeler l’exposition) sur les tableaux de Dürer, Rubens ou Rembrandt, tous mis sur le même plan selon une relecture idéologique parfaitement contestable …

De ce point de vue, pour mieux savourer la façon dont l’exposition place sur le même plan l’homme et l’animal, à la faveur d’une imagerie caniche kitsch, nous vous laissons découvrir cette bande-annonce, éditée par la Réunion des Musées Nationaux :
> Beauté animale : la bande annonce

> Playlist de 32 titres rendant hommage aux animaux également disponible ici …

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Et pour ne pas en rester là …

… et finir sur une note positive, nous mentionnerons la présence d’un Goya, Le combat des chats, grand format qui à lui seul mérite le détour … Exposé au milieu de tant d’autres, ce tableau ressort naturellement par la force qui s’en dégage ; son humour vient soudain alléger le poids moral qui pèse comme un couvercle sur l’exposition ; sa beauté arrête le spectateur errant au milieu de cette ménagerie …

Pour le reste c’est à vous de voir. Ou pas.

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Exposition « Beauté Animale » au Grand Palais
du 21 mars au 16 juillet 2012
Galeries nationales – Entrée Clemenceau
Place Clemenceau 75008 Paris

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NOTES

[1] Pendant ce temps, les chevaux Hermès ont laissé la place aux automobiles, pour le Tour Auto Optic 2000. Autre temps, autre mode de locomotion, en somme.

[2] Texte de l’exposition

[3]Texte de l’exposition

[4] Texte de l’exposition

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