Mais qui sont ces fameuses « Mères Lyonnaises » ?

Elles sont souvent brandies comme un élément majeur du tourisme lyonnais. Elles sont citées par de nombreux textes du XXe siècle comme références culinaires. Elles semblent constituer à elles seules une pierre angulaire de notre patrimoine gastronomique régional.  … Mais qui sont ces fameuses « mères lyonnaises » ? La rédaction d’une notice destinée à un Dictionnaire des Femmes Créatrices m’a récemment conduite à interroger l’histoire de ces femmes et de leur appellation …

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MÈRES LYONNAISES – Terme générique désignant un certain nombre de cuisinières d’origine modeste, installées à leur compte après avoir été au service des grandes familles lyonnaises, et proposant une restauration à la fois populaire et bourgeoise, simple et raffinée, basée sur un ensemble de spécialités devenues indissociables de la réputation gastronomique de la ville.

Les premiers mentions de « mères » remontent au XVIIIe siècle, avec le restaurant de la « mère Brigousse », dans le quartier des Charpennes, et celui de la « mère Guy », installé à La Mulatière dès 1759, avant d’être repris et développé par ses deux petites-filles, autour de 1870. Le phénomène prend de l’ampleur au XIXe siècle, avec le développement des sociétés gastronomiques.

Toutefois, l’âge d’or des « mères » se situe au XXe siècle, notamment pendant la période de l’entre-deux-guerres, qui consacre ce type de restaurant. D’une part, à cause des conditions économiques, qui motivent de nombreuses familles bourgeoises à se séparer de leur cuisinière, qui n’ont d’autre ressource que de s’installer à leur compte. D’autre part, grâce au développement du tourisme automobile et des guides gastronomiques qui lui sont associé, dans un contexte de promotion des cuisines régionales, au premier rang desquelles la cuisine lyonnaise dont elles deviennent rapidement l’emblème.

C’est à cette période que les restaurants des « mères » vont subir une véritable mutation, du point de vue de la clientèle comme des plats proposés : jusque-là essentiellement fréquentés par une clientèle populaire et ouvrière, ils gagnent en réputation et sont de plus en plus fréquentés par des patrons et industriels venus s’encanailler et rechercher une cuisine familiale de bonne facture. A côté des quenelles et des gratins de macaroni, les menus commencent alors à s’embourgeoiser. Si les premières « mères » étaient connues pour des plats à connotation fortement populaire, comme la matelote d’anguille (spécialité de la « mère Guy ») ou les « tétons de Vénus » (célèbres quenelles de la « mère Brigousse »), la « mère Filloux » (née Françoise Fayolle, 1865-1925) fondera la réputation de son établissement du 73 rue Duquesne sur une volaille en demi-deuil et des fonds d’artichauts au foie gras.

Ce phénomène s’accélère et trouve sa consécration avec la reconnaissance de la critique gastronomique. Ainsi d’Élisa Blanc, dite la « mère Blanc » (1883-1949), installée à Vonnas, dont le poulet de Bresse aux morilles et la côte de veau à l’oseille lui valent une première étoile au Guide Michelin en 1929, une seconde en 1933, tandis que le Touring Club de France lui décerne le premier prix de son concours culinaire (1930), et que Curnonsky la déclare « meilleure cuisinière du monde ».

La critique salue également Marie Bourgeois, installée à soixante kilomètres de Lyon (Priay), couronnée en 1923 par le « club des Cent » avant d’obtenir trois étoiles au Guide Michelin en 1933, devenant l’une des premières femmes à obtenir cette distinction en même temps qu’Eugénie Brazier (1895-1977), récompensée pour son restaurant de la rue Royale et pour celui du col de la Luère.

Le XXe siècle compte ainsi une trentaine de « mères lyonnaises » dont la réputation dépasse largement les frontières de la ville. Parmi elles, il faut notamment citer la « mère Jean » pour son établissement ouvert en 1923 rue des marronniers, très fréquenté par les journalistes du Progrès ; la « mère Léa » dont le restaurant, place Antonin Gourju, se verra attribué une étoile pour sa fameuse choucroute au champagne, son tablier de sapeur autant que pour son gratin de macaroni, ou encore la « mère Vittet », installée près de la gare de Perrache, la « mère Pompon », « la grande Marcelle », « la mère Charles », la « mère Castaing », etc. Toutes ont en commun un caractère bien trempé, une carte pratiquement immuable et quelques spécialités à l’origine de leur réputation.

Après la seconde guerre mondiale, et surtout à partir des année 70 et de la Nouvelle Cuisine, ce phénomène des « mères », exclusivement féminin a progressivement laissé place à des générations de chefs, cuisiniers dont certains ont été leur apprenti (à l’instar de Paul Bocuse, formé chez la « mère Brazier ») ou sont leur descendant (comme George Blanc, petit-fils de la « mère Blanc », qui obtient la troisième étoile qui lui manquait en 1981). Quant aux établissements des « mères », quant ils n’ont pas fermé, ils ont tous été repris par des hommes. Une des dernières grandes représentantes de ce type de cuisine, Paulette Castaing, installée à Condrieu de 1950 à 1988, doublement étoilée en 1964, vient de fêter son centenaire.

Caroline Champion

Extrait du Dictionnaire des Femmes Créatrices,
dir. M.Calle-Gruber, B. Didier et A. Fouque,
Éditions des Femmes, à paraître en 2012.


.Bibliographie :

– ANDRIEU Pierre et SAILLAND Maurice Edmond, dit CURNONSKY, Les fines gueules de France, Paris, Librairie J. A. Quereuil, 1935.

– BRUNET Dominique, Lyon et les mères lyonnaises, mémoire de maîtrise soutenu en 1997 à l’université Jean Moulin Lyon III.

– CASATI-BROCHER François, La « gastronomie » de Berchoux et la région lyonnaise ou la salle à manger refuge, éditions Bellier, 1994.

– VARILLE Mathieu , La cuisine Lyonnaise, Lyon, Librairie de P. Masson, 1928, rééd. Éditions du Bastion, 2004.

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3 réflexions au sujet de « Mais qui sont ces fameuses « Mères Lyonnaises » ? »

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  2. Les Mères Lyonnaises, ou les Représentantes Mondiales de notre Gastronomie, née DE FAIT de notre Cuisine Familiale Française !!! MONUMENTALES !!!

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